Lorsque l'on questionne l'Histoire pour comprendre le monde, force est de constater que l'on a affaire pratiquement partout à des stratégies d'Empire sur le long cours, et à la formation d'Empire (de tout genre d'ailleurs), mais encore faut-il commencer par procéder à une recension de certains brouillages idéologiques mis en place eux aussi pendant de longues périodes.
Tout d'abord une stratégie d'Empire suppose un ou des acteurs centraux qui la mettent en oeuvre, conscients qu'ils sont à la fois de leurs possibilités de créer de vastes étendues sous leur pouvoir et dotés de volonté de le faire, pour de multiples raisons d'ailleurs, qui ne tiennent pas seulement à une soif de conquêtes. Le premier brouillage vient de l'amalgame à cette ambition de toutes les forces tendant à la constitution de ces Empires. Les nationalismes nous ont habitués à parler des Français, des Allemands et des Anglais. Or, les forces agissantes ne proviennent pas principalement et originellement de populations désignées sous ces noms, mais bien de familles, de Maisons, baptisées royales ou impériales suivant les époques, qui ont réussit à faire passer durablement ces populations sous leur pouvoir, par de multiples stratagèmes et/ou par des violences diverses. Un second brouillage réside dans les modalités du premier : des instances de pouvoir, venant souvent des sphères religieuses, possèdent un véritable don et un savoir de premier plan pour nommer et faire passer ce nom pour la réalité les populations sous l'autorité d'une Maison, des Angles on passe à l'Angleterre, et cette Angleterre devient un nom générique pour désigner - en douce pourrait-on dire - toutes les populations environnantes de la Grande Bretagne. Enfin, pour s'en tenir là, troisième brouillage, le nom même de ces Maisons changent - là après la première guerre mondiale - faisant oublier les différentes liaisons entre les maisons dominantes en Allemagne et en Angleterre. Les Windsors ne semblent exister que depuis..... ! Alors qu'ils s'appelaient auparavant les Hanovriens...liés au.... en Allemagne... Alors que les noms sont changés, des permanences idéologiques et sociales perdurent...
Autre brouillage qui peut empêcher de véritablement penser l'Histoire, sont les principaux axes conflictuels réels ou supposés : alors que les deux guerres mondiales ont mis au premier plan le conflit France-Allemagne, toute l'histoire européenne est en fait dominée depuis la conquête de l'Angleterre par les Normands en 1066 par un axe franco-anglais. C'est véritablement, encore aujourd'hui la conflictualité entre le monde francophone et le monde anglophone qui fait sens, que ce soit sur le plan des mentalités (doublé par un axe de conflit religieux) et de la langue, ou sur le plan de l'organisation politique, de l'orientation économique... Si on peut avoir le sentiment en Europe d'un conflit bien plus à plusieurs, monde germanique, monde espagnol et monde lusophone compris, dans le Nord de l'Amérique, les différences entre descendants des Français et descendants des Anglais sont bien plus importantes et plus sensibles... Fruit là aussi de luttes coloniales entre France et Angleterre.
Par ailleurs encore, si on a l'image surtout d'un Empire maritime anglais, la stratégie d'Empire pendant des siècle a été très terrestre...
Autre aspect, la forme d'État dominante sur le continent et dans la grande île suggère que la notion d'Empire n'est pas tout-à-fait la même. Si la forme centralisée domine sur le continent, la forme pluraliste des institutions politiques dans la grande île témoigne de luttes politiques à l'issue très différente entre Maisons à visée stratégiques... La stratégie d'Empire peut viser uniquement le domaine économique comme elle peut s'étendre au religieux et surtout au politique (organisation des populations et des territoires, procédures de prise de décisions...)
Les événements récents autour du Brexit nous rappellent combien la construction du Royaume-Uni, impulsée par les Maisons anglaises, peut être remise en questions... L'Écosse, l'Irlande, le Pays de Galle n'ont été acquis dans l'ensemble "anglais" que par la violence le plus souvent, et malgré les formations de tissus économiques et sociaux importants, nombreux sont les Écossais, les Irlandais et les Gallois peu soucieux de maintenir la Grande Bretagne, pour peu que leurs intérêts et leurs sentiments s'en détachent...
Juste après l'Empire romain, une période d'instabilité... l'absence de stratégies d'Empire...
A partir du Ve siècle, s'installe en Angleterre un peuple d'origine germanique, désignés sous le terme d'Anglo-Saxons, qui se mêlent aux indigènes brittoniques et les repoussent vers l'Ouest. L'histoire de ces migrations des Angles et des Saxons, comme des Jutes, qui proviennent d'une péninsule qui a pris leur nom (Jutland), est assez mouvementée, et les populations ne se stabilisent relativement qu'au VIIe siècle, où plus d'une douzaine de royaumes coexistent, sur fond de conversion au christianisme (à partir de la fin du VIe siècle), où rivalisent les missionnaires géorgiens (venant de Rome) et ceux venus d'Irlande (christianisme celtique). Plusieurs droits s'affrontent et il faut un certain temps (le Xe siècle) pour que s'affirme de manière générale un droit qui profite au roi et à ses représentants. C'est dire qu'aucune force politico-militaire - si tant que militaire ait un sens à cette époque, faite de soubresauts violents de rapines, au gré des bonnes ou des mauvaises années de récoltes et/ou de transhumances : le pillage tient lieu de but de "guerre". Jusqu'à la lutte contre les pillages Vikings venus de l'extérieur qui peuvent mobiliser plusieurs royaumes en même temps, prélude à une unification qui n'intervient que pendant la conquête normande. Un temps, s'établit auparavant une domination danoise, l'intégration de l'Angleterre dans un empire maritime nordique qui comprend également le Danemark et la Norvège. Résultat d'une véritable stratégie viking d'Empire qui permet à cet ensemble de vivre quelques décennies, jusqu'en 1042, date à laquelle la dynastie saxonne revient au pouvoir (Édouard le Confesseur). Élément important de cette stratégie d'Empire, l'établissement d'un système fiscal, né lui-même de la tradition des otages. Les Vikings qui avaient repris leurs raids à partir de 991, oblige le roi AEthereld le Malavisé à payer tribut, lequel pour satisfaire à cette obligation, établit le premier impôt généralisé. Important élément également de cette stratégie d'Empire, les relations matrimoniales. Établir un lien de sang entre deux entités semble alors le meilleur moyen de pérenniser une domination, et la généralisation de cette habitude est le meilleur moyen de déceler que l'on passe d'un système de pillage mutuel à un autre système d'obligations contractées (système de dot). Le problème est que la natalité prolifique des seigneurs à cette époque étant ce qu'elle est, de multiples fils peuvent parfois revendiquer la succession d'un royaume, et c'est sans doute une des raisons majeures d'une certaine instabilité politique. C'est ce qui se passe à la mort d'Édouard le Confesseur en 1066, où son beau-frère Harold Godwison se voit contester l'héritage de la Couronne anglaise par Guillaume le Bâtard, déjà duc de Normandie. La conquête normande de l'Angleterre constitue un événement qui change non seulement le système politique, mais aussi le destin d'un royaume jusque-là soumis aux ambitions de chefs de guerre à visées restreintes. Guillaume le Conquérant remplace en grande partie la noblesse anglo-saxonne par la noblesse normande et surtout réorganise le pays suivant le système féodal centralisé normand. Les domaines dont son dotés les barons normands sont dispersés, et situés des deux côtés de la Manche, ce qui empêche la constitution de contre-pouvoirs territoriaux. Le territoire se couvre de plus de châteaux forts - signe d'une activité économique qui s'intensifie. Guillaume le Conquérant réforme la loi vicile anglo-saxonne (Common Law) en y introduisant les éléments de la loi normande. Il faut établir un cadastre (Domesday Book), monumental recensement de toutes les propriétés (1086), permettant le contrôle politique et fiscal de tous les domaines, technique qui permet à une petite minorité aristocratique normande de dominer l'Angleterre pendant trois siècles.
Plantagenêts, Lancastres, Turdors, des Maisons aux stratégies d'Empire, entre entreprises de part et d'autre de la Manche et entreprises entre Angleterre, Écosse, Pays de Galle et Irlande...
Que ce soit dans une direction ou une autre, les Maisons qui désormais règnent, grâce aux maillages normands du territoire, sur la majeure partie de la grande île sont pris dans un réseau d'alliances contrastées avec les royaumes périphériques et les Maisons dominantes sur le continent, ayant à choisir entre des stratégies proprement insulaires ou continentales, tiraillés de plus sur le tard par des querelles religieuses avant de l'être très tôt par des révoltes de barons, ces deux types de conflits étant sources cumulatives de pertes de pouvoir politique pour les différentes dynasties qui se succèdent. Elles mettront longtemps à se décider, d'ailleurs par la force des événements contingents, à donner le plus de moyens à une stratégie insulaire, qui sur le tard, transforme l'Empire anglais (une fois affermie l'unité de la grande île) en une version d'Empire maritime.
La fortune des Plantagenêts trouve son origine, entre autres, dans le mariage que fit en 1128 Geoffroy V et qui permit à son lignage d'accéder à la royauté et surtout d'échapper sur certains de ses territoires à la suzeraineté du roi de France. L'union avec Mathilde l'Emperesse, fille et héritière d'Henri Ier d'Angleterre, représente alors un gage de paix entre l'Anjou et la Normandie, en conflit à de nombreuses reprises au cours du XIe siècle. Il s'agit là d'une prémisse qui permet à Jean sans Terre (1199-1216) de bénéficier du glissement du coeur de l'empire Plantagenêts vers l'Angleterre. En perdant la Normandie, l'Anjou, le Maine et le Poitou en 1204-1205, les énergies des sucesseurs de ce roi, jugé négativement par l'Histoire, soit Henri III (1216-1272), Edouard Ier (1272-1307) qui met la main sur le pays de Galles et l'Écosse, Edouard II (1307-1327) et Edouard III (1327-1377) se concentrent sur les ressources de la grande île. Toutefois, la guerre de Cent Ans, où Edouard III combat la France - est une dernière - et dangereuse - péripétie dans la tentative toujours présente d'avoir des domaines sur le continent, tentation qui mettra du temps à montrer son impossibilité. Par la suite, faute de pouvoir peser directement sur le destin du Continent, après la guerre de Cent Ans et après qu'une branche de la Maison des Plantagenêts, divisée, autre autre à cause de cette tentation séculaire, celle des Lancastre, avec le renversement de Richard II (1377-1399), par son cousin germain qui devient Henri IV d'Angleterre, se met en place progressivement une politique dite d'équilibre des puissances, retardée d'ailleurs par l'émergence des guerres de religion. Entre les Maisons de Lancastre et d'York, toutes deux issues de la famille Plantagenêts, aboutit à la guerre des Deux Roses, où les Tudor prennent la succession du trône.
La Maison des Tudor elle-même est d'origine galloise, vers le XIIIe siècle, et la dynastie anglaise commence par le mariage secret entre Catherine de Valois, veuve du roi Henri V d'Angleterre et un écuyer gallois (sir Owen Turdor) ; elle constitue un rameau des Valois, mais sans le rattachement, obligatoirement mâle, au nom, ce qui empêche toute complication revendicative de territoires de l'autre côté de la Manche. Lorsque en 1499, Henri VII fait périr Édouard, compte de Warwick (1475-1499), le dernier descendant mâle de la maison Plantagenêts, il écarte toute menace au trône. La dynastie Tudor orchestre, surtout en les personnes d'Henri VIII et surtout d'Élisabeth 1er, la mutation du royaume d'Angleterre, d'une arrière-cour européenne toujours plongée dans le Moyen-Âge en un puissant État de la Renaissance. Tour à tour Henri VII (1485-1509), Henri VIII (1509-1547), Edouard VI (1547-1553), Marie 1er (1553-1558) et Élisabeth 1er, avec des modalités différentes, sont pris dans les guerres de religion, tantôt côté protestant, tantôt côté catholique, possèdent tous les quatre un sens stratégique (parfois compliqué...) se centrant plus ou moins sur la grande île, et pris surtout dans des luttes politiques entre l'Écosse et l'Angleterre, avec des relais sur le Continent, relais qui desservent plus (avec des instrumentalisations françaises par exemple) qu'ils n'aident d'ailleurs la Monarchie anglaise de se constituer solidement en tant que telle.
C'est surtout sous le règne d'Élisabeth Ier que s'affirme une stratégie d'Empire : la reine se pense anglaise et mène sa politique, à l'inverse des précédents souverains, en fonction d'une certaine vision des intérêts d'un royaume, dans une ambiance de complots constants.
Sa vision des choses s'inspire des actions d'Henri VIII, dont l'acte le plus important de son règne est l'Acte d'Union de 1536, par lequel le Pays de Galles devient une partie constituante de l'Angleterre. Fondateur également de la première flotte permanente de l'Angleterre, acteur décisif de la séparation de l'Église d'Angleterre de celle de Rome, à l'origine de l'anglicanisme, Henri VIII, même si ses intérêts personnels se mêlent encore à celui de son Royaume dans la gestion du trône, amorce des étapes décisives favorables à une stratégie d'Empire, qui malgré les fortes "contrariétés", fait émerger l'Angleterre de son rôle alors encore marginal dans les affaires européennes, enjeu et instrument plutôt que véritable acteur. On peut aussi faire remarquer que cette absence du sens réel de l'État chez les souverains antérieurs a favorisé, sur le terreau de la féodalité, la formation de contre-politiques aux Maisons royales : Le Parlement, entité des différents barons, n'a de cesse, depuis la Grande Charte de 1215, de limiter le pouvoir fiscal du Roi et toutes ses velléités absolutistes en quelque matière que ce soit... A l'inverse de ce qui se passe alors en France, le pouvoir royal a des possibilités stratégiques limitées, jusqu'à ce que, plus tard, la monarchie conçoive ses intérêts commerciaux et politiques à l'unisson des "pairs du Royaume"...
Élisabeth d'Angleterre, avec l'appui majeur de conseillers (cela rappelle les binômes Richelieu/Mazarin/Roi de France), comme sir William CECIL, puis lord BURGHLEY, auxquels elle accorde (contre ses sentiments) plus de crédits politiques que ses propres favoris (Lord Robert DUDLEY, grand écuyer, Christopher HATTON, brillant cavalier...), construit un ensemble politique à la tête de ses quatre millions de sujets, avec seulement une grande ville, Londres, de surcroit très en retard sur le plan de l'expansion coloniale par rapport à ses voisins européens. Ses sujets divisés sur des questions religieuses, ceux qui en ont les moyens économiques et culturels bien entendu - une minorité souvent active dans le Royaume, observent de près ses actions (surtout les actions privées!), et certaines, travaillés par la propagande catholique, tendent à participer de des complots singulièrement actifs. C'est d'ailleurs l'activisme catholique (Rome et les Espagnols, mais aussi les Français), qui détermine l'orientation anti-catholique de la diplomatie anglaise, qui devient presque définitive avec la tentative d'invasion de l'Invincible Armada espagnole à la fin des années 1580. Après la répression contre les catholiques, émerge une autre opposition religieuse, celle des puritains, qui veulent - à l'inverse d'une politique religieuse qu'Élisabeth 1er veut équilibrée (vu le nombre de paroisses encore acquise aux pratiques catholiques...) - faire évoluer celle-ci dans un sens franchement protestant et conforme au calvinisme genevois. C'est la conjonction des problèmes qui marquent la fin du règne de la Reine : puritanisme, parlement, Irlande, qui prive en quelque sorte la dynastie présente à mettre en oeuvre une véritable stratégie d'Empire. Il faut encore plusieurs siècles pour la grande île soit unifiée dans l'effort de faire à l'Angleterre une place majeure dans l'ensemble européen, et surtout - pour les commerçants et financiers anglais, participer pleinement à l'exploitation du Nouveau Monde comme de l'Afrique (les activités corsaires ne suffisent plus... alors que se développent les premières manufactures)... Durant toutes ces années, l'économie de l'Angleterre est très liée à celle des Pays-Bas, course, contrebande et commerce, investissements (permis par la sécularisation des biens de monastères spoliés et volés, jetés dans le circuit économique) productifs protégés par une législation de plus en plus protectionniste. Les mouvements d'immigration protestante (ouvriers notamment), provoquée par les répressions religieuses aux Pays-Bas espagnols, bénéficient au Royaume. Notons que souvent, les différentes persécutions politiques et religieuses bénéficient surtout aux autres pays plus tolérants, au détriment de ceux qui les mènent, résultat en boomerang (et moralement satisfaisant, pourrait-on dire...) d'acteurs qui croyaient qu'en purifiant leur territoire des populations "non conformes", ils se renforceraient...
Ce qui permet à l'héritage élisabéthien plus tard de donner ses fruits, c'est précisément la conscience pour beaucoup de sujets de faire partie d'un ensemble unifié, par notamment le développement d'une culture commune, avec l'émergence d'une littérature nationale. Tardivement, l'influence italienne qui s'exerce sur le milieu aristocratique vient rejoindre une veine populaire, qu'ont exaltée les grandes luttes et les succès du règne. La véritable Renaissance anglaise a lieu à ce moment-là : théâtres, poésie se développent, soutenue par la monarchie qui ferme les yeux sur l'origine délinquante de nombreux de ses acteurs, capables de soulever l'enthousiasme populaire... et la bienveillance envers la dynastie... tout en maintenant un grand niveau d'ironie et... d'agressivité...
Révolutions et restaurations : mise en place des institutions qui permettent ensuite à une stratégie d'Empire de se déployer.
Toujours suivant une stratégie d'Empire, Élisabeth prépare sa succession pour mettre à sa suite, sur le trône, un membre de la dynastie des Stuarts qui règne sur l'Écosse entre 1371 et 1714. C'est ainsi que Jacques 1er (Jacques VI d'Écosse) monte à la tête de l'Angleterre en 1603. Bon an, mal an (plutôt mal an d'ailleurs) se succèdent après la mort de Jacques 1er, Charles 1er (1625-1649), Charles II (1660-1685), Jacques II (1685-1688), Marie II (1689-1694) et Anne (1702-1707), ces souverains Stuart qui traversent un XVIIe siècle dominé par les querelles religieuses, mais surtout une lutte ouverte entre Parlement et Monarchie, avec une Première Révolution en 1642, une République en 1653-1658 (CROMWELL), une Restauration en 1658, et une Glorieuse Révolution en 1685, qui aboutissent à une suprématie des pouvoirs du Parlement sur ceux des Maisons régnantes. Le nouveau régime anglais, partiellement dirigé alors par une élite hollande, qui réédite d'ailleurs en Angleterre la stratégie d'Empire particulière qu'elle a mise en oeuvre aux Pays-Bas... En 1707, l'Acte d'Union scelle l'association de l'Écosse et de l'Angleterre, qui forment la Grande Bretagne, laquelle met en oeuvre depuis une autre stratégie, tendant à la formation d'un Empire maritime. Dans un ensemble unifié et stabilisé, à religion d'État mais à régime de tolérance réelle, doté d'instruments fiscaux, bancaires, militaires et navals qui ne vont cesser de se renforcer jusqu'aux deux guerres mondiales, les dirigeants du Parlement, soutenu dans la mesure des pouvoirs (symboliques) qui leur restent par la Maison de Hanovre, qui change de nom en 1917, en Windsor, poussée par le sentiment anti-allemand de la population britannique.
Les révolutions du XVIIe siècle donnent, malgré le retour final de la monarchie en Angleterre une forme bien particulière au régime politique qui désormais préside au destinée d'un l'Empire - qui ne porte véritablement ce nom dans les écrits que bien après, à l'émergence de l'Empire maritime du XVIIIe siècle. Le régime parlementaire, qui finalise en quelque sorte la limitation historique du pouvoir royal depuis le Moyen Âge, chambre des Lords (des grands seigneurs laïcs et ecclésiastiques) et chambre des Communes (des députés élus des comtés et des villes) se distingue fondamentalement du continent, où prédomine ou tente encore de prédominer (sauf précisément dans les "Provinces Unies"...) le régime de la Monarchie absolue. A chaque fois que le souverain a besoin de lever une armée et un nouvel impôt, il devait déjà consulter le Parlement. Les règnes de Jacques 1er et de Charles 1er sont marqués par des tensions de plus en plus violentes, qui aboutissent à une guerre civile et à la Révolution. Cette grande période de violences et de désordres, renouvelée d'ailleurs à cause de la volonté de Jacques II de rétablir ses pouvoirs, a pour résultat de changer le centre du pouvoir de l'ensemble réunit autour de l'Angleterre. C'est désormais au Parlement que se fixe la politique de l'île, à l'image d'ailleurs de ce qui s'est passé aux Pays-Bas plusieurs décennies plus tôt.
il est impossible de se satisfaire de l'interprétation libérale qui domine encore aujourd'hui l'appréciation de cette période, qui fait vite oublier l'expansion du premier capitalisme industriel et ses ravages sur des pans entiers de la société. Les motivations des souverains ne se limitent pas à tenter de restaurer un pouvoir absolu (quel que soit leur admiration pour la Monarchie française...). On peut admirer le régime démocratique anglais, mais il n'est pas démocratique (et bénéfique) pour tout le monde, très loin de là.
L'histoire de cette période est l'histoire compliquée de mouvements contrastés. Le gouvernement royal tend à lutter contre le paupérisme et même de corriger certaines injustices, causé par la forme de développement économique animé par un monde citadin (surtout londonien), profitant des sécularisations de biens d'Église, pratiquant les enclosures et les assèchements pour accroitre ses revenus. Une classe de marchands et d'entrepreneurs avisés, vivant très simplement dans leurs manoirs, empiète de plus en plus sur les vieux droits corporatifs des villes et des campagnes. La recherche en histoire met bien en relief l'action du Conseil privé qui tente de taxer les prix, d'obliger les drapiers à faire travailler leurs ouvriers malgré les méventes. Il insiste souvent auprès des juges de paix qui ont la responsabilité de réguler l'ensemble des conflits dans leur juridiction, pour qu'ils fixent des salaires en fonction des prix et pour qu'ils freinent les enclosures en faisant réserver, conformément à la loi, un certain nombre d'acres par habitation. Mais ces bonnes intentions restent le plus souvent sans effet, car elles se heurtent à la négligence et à la mauvaise volonté de ces juges de paix, eux-mêmes grands propriétaires et solidaires de la classe à qui profite des abus. Au contraire, elles ne peuvent qu'indisposer les tenants des droits du Parlement, dans la mesure où elles visent à tempérer les initiatives de la Couronne.
Les souverains en général profitaient de la division du Parlement, tiraillés entre plusieurs intérêts contradictoires pour lui soutirer son soutien en matière fiscale ou militaire. Élisabeth y déléguaient ses meilleurs ministres pour l'obtenir, ce que ses successeurs vont négliger. Le gonflement du chômage mêlé à un bouillonnement intellectuel et religieux, qu'on ne retrouve que plus tard en France au XVIIIe siècle, fournit aux oppositions à la Monarchie des troupes pour ses révoltes. Non que les meneurs, notamment qui mènent à la Révolution, comme CROMWELL soit particulièrement favorable aux pauvres, mais parce que les motivations de ces troubles, tels qu'ils sont vécus, en dehors des mouvements de fond, brièvement décrit plus haut, sont avant tout théologiques. La volonté des puritains d'établir - de rétablir - les manières de faire et de croire religieuses d'avant l'établissement de l'Église anglicane, peuvent faire illusion un moment, mais les politiques compliquées des Républicains et surtout le niveau de violence provoqué dans l'ïle - avec l'émergence de plus d'une classe d'hommes de guerre désirant d'accaparer tous les pouvoirs, mêmes religieux, réduit peu à peu le soutien populaire, surtout lorsque les puritains mettent en oeuvre leurs préceptes religieux, alors que l'ensemble de la population de cette époque ne peut encore se passer de la solennité propre au catholicisme d'antan. Les menées des autorités catholiques du Continent sont sans doute beaucoup pour la lassitude du peuple en général, et la prise de conscience de parlementaires (ou de ceux qui ont sauvé leur peau...), qui dénoncent avec d'autres à tour de bras les complots papistes, de cette politique d'instrumentalisation à outrance de l'Angleterre au profit des grandes puissances continentale, également. Ce n'est donc pas par hasard si dans l'enchevêtrement des conflits économiques et religieux, la Hollande prend une grande place, tant les liens commerçants unissent des familles des deux rives de la mer du Nord. Profitant de l'attention concentrée des Français de Louis XIV pour le Palatinat, dans la guerre qui met alors aux prises plusieurs puissances, Guillaume d'ORANGE, à la tête d'un corps expéditionnaire débarque à l'Ouest de l'Angleterre pour "la défense de la religion protestante et du Parlement", ralliant tous les grands du Royaume, et le nouveau Parlement qui se réunit en janvier 1689 dicte ses conditions - Déclaration des droits - avant d'accepter l'avènement sur le trône d'un rameau de la dynastie des Stuart, suivant une formule qui fait de Marie II (1689-1694) et de Guillaume, reine et roi de l'Angleterre. Leur succède brièvement la reine Anne (1702-1707), avant qu'en 1707, les royaume d'Angleterre et d'Écosse s'unissent au sein du royaume de Grande-Bretagne, dont Anne devient la première reine, laquelle meurt sans descendance. Du coup, par le jeu de succession, mais l'affaire n'est plus très importante alors, le trône passe à la Maison de Hanovre, laquelle avec George 1er (1714-1727), a déjà un pied en Hollande. Des deux côtés de la mer, commerçants et financiers anglais et hollandais vont mener le jeu, dans une concurrence (la plus déloyale possible bien entendu) pour se partager les colonies du Nouveau Monde... Ceci étant favorisé par l'existence d'un régime politique analogue, d'une même tendance majoritaire religieuse et d'un esprit de tolérance né surtout à Amsterdam... Comprendre la formation de l'Empire anglais ne peut se faire qu'en comprenant également celle de l'Empire hollandais...
Une pensée militaire de second rang, liée à une Angleterre qui ne veut pas donner de grand rôle à la classe militaire et à des institutions monarchiques puissantes...
A l'inverse de la pensée militaire sur le continent, notamment en France et en Italie, la pensée anglaise témoigne de la régression consécutive à la fin de la guerre de Cent Ans et à la coupure qui s'ensuit avec le Continent. Logiquement, écrit Hervé COUTEAU-BÉGARIE, "l'art de la guerre n'évolue plus et les Anglais s'accrochent à ce qui fait leur grandeur passée. Reprenant l'étude de Claude GAIER sur l'invincibilité anglaise et le grand arc après la guerre de Cent Ans : un mythe tenace (recueil Armes et Combats dans l'univers médiéval, Bruxelles, De Boek Université, 1995), il cite "La théorie militaire anglaise au XVIe siècle sera officiellement dominée par le dogme de l'arc, considérée comme l'arme providentielle de la nation. Beaucoup d'auteurs se réfugient dans un passéisme sécurisant et ventent "les fameuses victoires de nos Édouard et de nos Henri".
C'est notamment le cas de l'écrivain le plus important de la période, John SMYTHE (Certain Discoures military, 1590), également de Roger ASHAM (Toxophilus, 1545) 1571, 1589) et de Matthew SUTCLIFFE (The Practice, Proceedings and Laws of Arms, 1593), dans une littérature abondante. Les tenants de l'arme à feu, comme Roger WILLIAM (A Briefe Discourse of Warre, 1590), Humphrey BARWICK (A Briefe Discourse, concerning the Force and Effect of all manual weapons of Fire, 1594) ou Thomas SMITH (The Art of Gunnery, 1600) sont minoritaires, tout comme sont rares dans commentateurs des progrès tactiques sur le continent (William GARRARD, The Art of Warre, 1591) et Robert BARRET, The Theorike and Practikte of Modern Warres, 1598).
Cette stagnation de le pensée militaire, conclue ici Hervé COUTEAU-BÉGARIE, "explique largement la grande médiocrité des armées des deux camps qui caractérise la guerre civile du siècle suivant."Entendre une certaine capacité à entreprendre des batailles décisives et à exploiter les succès militaires.
Luce PIETRI et Marc VENARD, Le monde et son histoire, Tome 2, Robert Laffont, Collection Bouquins, 1971. Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, Economica/ISC, 2002.
STRATEGUS