Publiés par l'Institut d'études lévinassiennes fondé lui-même en 2000 à Jérusalem, les Cahiers, revue annuelle dirigée par Gilles HANUS et Carole BRENNER, se consacre aux commentaires (très étendus) de l'oeuvre d'Emmanuel LEVINAS. Elle constitue un des organes de diffusion d'idées autour de cette oeuvre, à côté de séminaires, de grands débats et de grands entretiens. L'ensemble des contributions peut difficilement être situé de manière partisane sur l'échiquier politique français, même si on remarque le poids d'Alain FINKIELKRAUT, plutôt à droite et défenseur inconditionnel de l'Etat d'Israël et de Bernard-Henri LÉVY, plutôt à gauche (mais cela est souvent contesté...) et militant interventionniste sur des conflits en Europe ou ailleurs au nom de valeurs qui devraient être portées bien plus fortement par l'Occident. D'ailleurs, ils assument tous deux la direction de l'Institut, (auparavant sous Benny LÉVY jusqu'à sa mort en 2003), présidé par Shmuel WYGODA. De par leur parcours comme de leur formation intellectuelle, les membres de l'Institut, avec son antenne sur Paris (laquelle est prédominante) présidée par le professeur José-Alain SAHEL, participent beaucoup aux différents débats qui agitent la communauté juive, tout faisant une place de manière plus générale dans les débats de société qui agitent le monde. C'est tout-à-fait d'ailleurs à l'image de l'oeuvre d'Emmanuel LEVINAS, partagée en contributions propres à la communauté juive et en contributions au débat philosophique général.
Mais la revue ne se contente pas de poursuivre l'oeuvre d'Emmanuel LEVINAS : Alain FINKIELKRAUT écrit dans la Conférence inaugurale des Cahiers (n°1, 2002) que "la ligne de fracture passe aujourd'hui entre ceux, de plus en plus rares, qui continuent à faire le pari formulé en ces termes par Levinas : "Ce qu'on écrit dans les âmes est d'abord écrit dans les livres", et ceux, toujours plus nombreux, qui ferment les livres pour philosopher à neuf, ou qui pensent que la science a réponse à tout, ou qui enfin, confortablement installés dans le relativisme, comme d'autres jadis dans le dogme, sacrifient la recherche de la vérité à la reconnaissance des identités et la grande énigme humaine au règne de l'équivalence. Contre l'extase technique ou multiculturelle, il s'agit dans l'Institut Emmanuel Levinas, de contribuer par un dialogue exigeant et sans concession à la vie de l'esprit".
Bernard HENRY-LÉVY, dans la même Conférence inaugurale, écrit : "De l'un, Alain Finkielkraut, me séparent Péguy, les petites nations, l'idéologie française ou non, son romantisme, mon goût de l'esprit moderne et de la technique. De l'autre, Benny LÉVY, me distinguent, encore que de façon infiniment moins décisive, le passé militant, le présent et le futur sionistes, le rapport à Israël et à l'exil, la question Spinoza, la foi (...). Qu'entre l'un, l'autre et le troisième s'instaure, à dater d'aujourd'hui, non pas un "dialogue", ou un "débat", mais un espace de pensée menée en commun, voilà qui ressemble à un petit miracle philosophique. Que ce miracle soit, non seulement possible, mais à l'oeuvre, d'ores et déjà à l'oeuvre à dater, donc, de cet instant, nous le devons à la présence, en chacun de nous, du nom, du visage, des textes de Levinas."
Edités aux Editions Verdier, dirigés par Gilles HANUS et Carine BRENNER, les Cahiers sont surtout disponibles en ligne et dans les librairies du Quartier Latin à Paris. Ils portent sur un thème central : le numéro 2 aborde le monothéisme, le n°4 le messianisme, le n°5 les rapports Devinas-Sartre, le n°7 le mal, le n°9 s'interroge sur ce qu'est philosopher aujourd'hui et le n°13 porte sur L'Etat de César.
Les responsables de la revue introduisaient de la manière suivante le numéro consacré à la nation (n°11) : "Entre métaphysique, histoire et politique, le terme de "nation" évoque un principe de cohésion, de vie commune et, simultanément, de séparation. Par-delà les individus et leurs différences, les nations renvoient en effet à l'existence commune et supposent une unité des hommes. Mais la pluralité des nations semble indiquer l'existence de divers modes d'être ensemble et, peut-être, l'irréductibilité de ces modes d'être. Selon Lésinas, les nations, outre leur réalité historique, peuvent être considérées comme des métaphores, "des concepts, peut-être même des catégories", c'est-à-dire des modes d'existence collective qui structurent l'histoire davantage qu'ils n'en découlent. C'est pourquoi la nation, par-delà son lieu de naissance - Hegel aimait à répéter que nation vient de nasse, naître -, se définirait par une langue et/ou par une sagesse. Peut-être n'est-il pas inopportun d'interroger le rapport entre la nation comme catégorie et les nations historiques.
Qu'est-ce; donc, que le mode d'existence collective propre aux nations? Comment celles-ci sont-elles nées? La question vise certes l'histoire, mais aussi la façon dont une nation prend conscience d'elle-même et se transforme, le cas échéant, en vision du monde. Qu'en-est-il alors des multiples visions du monde qu'incarnent ou illustrent les nations?. Existe-t-il au coeur de cette multiplicité une principe d'unité, ou les nations, dans leur pluralité, sont-elles un obstacle à l'universalité? Faut-il dépasser l'existence nationale vers un inter-nationalisme ou bien tenir que celle-là est irréductible? Telles sont les questions que nous avons cherchées à développer dans cette livraison."
Cahiers d'études lévinassiennes, Institut d'études lévinassiennes, www.levinas.fr