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23 septembre 2015 3 23 /09 /septembre /2015 11:40

   Il n'existe pas de stratégie fiscale possible pour une entité politique (pour ce qui est de la stratégie fiscale d'entreprise, la problématique est autre et largement contradictoire à celle de l'État) s'il méconnait les ressources des contributeurs.

La longue maturation de l'État, entité politique centrale qui agglomère les autres sur un territoire donné, passe par un certain contrôle social dont l'un des instruments est le recensement de ces ressources. De même, le développement de méthodes de calculs de ces ressources (entendre la comptabilité) va de pair avec la possibilité de les connaitre. Compter le nombre de foyers par village, le nombre de tête de bétail, des outils agricoles, l'étendue des champs cultivés, les récoltes elles-mêmes est déjà une difficulté que des générations de mathématiciens, de géomètres et de contrôleurs et receveurs fiscaux ont dû surmonter. A cette difficulté objective s'ajoute une difficulté "subjective" qui tient à la résistance des assujettis à l'impôt de cette connaissance. Dissimuler ses richesses est une composante essentielle de la résistance du monde paysan aux différentes obligations fiscales imposées par le seigneur local, l'Église, le Roi et plus tard la République. C'est une manière également de se protéger (avec la complaisance plus ou moins grande des receveurs) sans devoir avoir recours à la révolte ouverte, très utilisée et probablement, à l'image des détournements massifs contemporains opérés par les multinationales modernes, la plus importante expression de la résistance à l'impôt.

 

   Les études sur le relation entre le recensement (qui peut servir à bien autre chose) et la fiscalité sont encore relativement peu nombreuse, mais leur quantité et qualité progresse dans la foulée de l'attention plus grande apportée par les sociologues, entre autres, sur la fiscalité, à une époque où son évolution constitue un élément majeur de l'évolution de la place des États (et des organisations internationales étatiques aussi d'ailleurs). Ainsi les études comme celle de Béatrice LE TEUFF sur les recensements dans l'empire romain d'Auguste à Dioclétien porte sur leur importance, leurs modalités, leur précision, leur efficacité et leur lien avec la fiscalité. La connaissance du fonctionnement du recensement peut permettre de comprendre les relations entre les agents impériaux, leurs correspondants dans les provinces et les assujettis eux-mêmes.

   Le recensement de la population, opération statistique de dénombrement qui dépend et de la qualité des techniques de comptages des ressources et des relations mêmes entre assujettis et autorités administratives et politiques, existe depuis l'Antiquité. Mais leur efficacité comme leur réalisation dépend de la stabilité des royaumes, empires... et il n'est mis en oeuvre systématiquement qu'à partir de l'émergence de l'État-nation, vers le XVIe siècle en Europe, à d'autres époques en Chine par exemple, différemment suivant les dynasties impériales. Leur résultat, utilisé pour déterminer les revenus et la ressource mobilisable pour la guerre, varie énormément, et pas seulement en fonction des périodes relativement calmes ou des désordres multiples (famines, guerres, catastrophes naturelles...).

      Une chose est sûre : ce n'est que dans les ensembles relativement calmes et vastes que s'établit une administration pérenne de l'organisation qui opère le recensement. Ainsi le cens romain, institution fondamentale de la République permet de maintenir le lien entre l'entité politique et les citoyens. Celui-ci organise le peuple romain en un corps civique structuré et hiérarchisé. A chaque citoyen, le censeur attribue un rang permettant de précisé sa dignité, ses droits et ses devoirs envers la cité, rang qui dépend essentiellement du patrimoine foncier. Avant même l'institution du christianisme impérial, l'Église recense ses fidèles, préfiguration de son rôle par la suite, et même après l'Empire romain. L'Église effectue en plein Moyen Age européen des opérations régulière de recensement - et l'inscription obligatoire sur les registres de baptêmes et de décès lui donne la possibilité d'agir efficacement sur ses fidèles, moralement, physiquement et surtout pécuniairement. Si les études insistent plus sur les recensements d'État, cela ne doit pas occulter l'apport essentiel des Églises dans les opérations de recensement. Plus tard en France, l'inscription des naissances et des décès, s'effectue à la mairie, remplaçant l'église, dans le cadre de sa laïcisation. En France toujours, c'est seulement depuis 1801 qu'une recensement général de la population est organisé tous les 5 ans, jusqu'en 1946 (sauf retards en cas de guerre). L'opération très lourde et difficile à organiser est ensuite retardée. D'autant plus qu'à la différence des époques antérieures, la proportion des recensés dans la population s'accroit énormément : des citoyens (très minoritaires dans la population) du monde gréco-romain, on passe aux foyers dans l'Europe jusqu'au XVIe siècle, puis aux membres de la société ayant capacité de voter, puis encore à tous les individus au XXe siècle. La fiabilité des statistiques s'accroit toutefois avec l'amélioration des techniques de comptages et la mobilisation des citoyens eux-mêmes (bénévoles ad hoc). Mais le poids financier jugé trop lourd par des responsables politiques par ailleurs tentés de donner un poids moindre dans la vie économiques aux Etats, amène à effectuer de plus en plus de recensements virtuels (informatique aidant) s'appuyant sur des opérations plus partielles. 

    C'est d'ailleurs ce poids financier relativement lourd, joint à une certaine difficulté de recenser réellement tout le monde que les États ont tendance à diminuer le rôle des impôts directs au profit des impôts indirects. En effet, non seulement, cela permet à l'État de se désengager tout simplement en ne recensant que ce dont il a strictement besoin (Police, justice, armée) pour exister, mais l'impôt indirect permet de réduire drastiquement le nombre des potentiels recensés. L'institution de la TVA (Taxe sur la Valeur Ajoutée), impôt indirect sur la consommation, transforme quasiment tous les agents économiques hors les consommateurs individuels en dernier ressort, en collecteurs d'impôts. Conçu à l'origine en France en 1954, dans un cadre où l'État planifie encore une partie de l'économie, pour remplacer des impôts indirects dit en cascade (taxe sur le prix de vente payé par les consommateurs et taxe sur le chiffre d'affaires payé par les entreprises) cette TVA permet d'organiser la fiscalité plus rationnellement en se focalisant sur les filières professionnelles. Elle fait école dans le monde entier et la TVA fait partie du socle de base pour pouvoir harmoniser les impôts dans la Communauté européenne (Union Européenne aujourd'hui). Elle constitue aujourd'hui un bon moyen de réduire le système lourd du recensement comme elle constitue un bon moyen de mener une politique économique qui ne soit plus axée sur la réduction des inégalités. Le contrôle social global de la population peut s'organiser sur d'autres bases, notamment par le biais d'Internet de manière bien plus ciblée qu'auparavant. Toutefois tant que les données transmises par les recensés de cette manière soient vraies, car après une décennie intensive d'Internet de plus en plus d'éléments de la population, toujours à recenser tout de même, s'en méfient. L'"informatisation de la société" (qui n'est pas seulement Internet) transforme les modalités de recensement de la population.

 

Béatrice LE TEUFF, thèse de doctorat en Histoire, langues, littératures anciennes, Bordeaux 3, 2012.

 

SOCIUS

 

Relu le 23 janvier 2022

     

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