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29 mai 2016 7 29 /05 /mai /2016 07:59

     Publiée par l'Association Jean-Marie DELMAIRE en 1999, cette revue bi-annuelle entend mettre à la disposition du public un large éventail d'articles sur les études juives et la littérature hébraïque. Rédigée par de jeune chercheurs et des enseignants de Lille III, d'autres universités françaises et israéliennes ou étrangères, elle veut concilier exigence universitaire et lisibilité. 

 Dirigée à l'origine par le professeur DELMAIRE (1943-1997), historien et hébraïsant, puis depuis par Danielle DELAMAIRE, maitre de conférences en histoire contemporaine à l'Université Charles de Gaulle,-Lille III, elle propose dans chaque numéro (de 200 pages environ) un dossier thématique, des varia, un document inédit ainsi que des recensions, en particulier de livres parus en hébreu et rarement analysés ailleurs. 

Ainsi le numéro 70 d'automne 2015-hiver 2016 porte sur les écrivains juifs de langue française, Écrire la judéité, le numéro 68 d'automne 2014-hiver 2015 sur la Grande Guerre et les juifs.

Pour donner une idée de l'orientation de la revue, citons un résumé du dossier sur les Écrivains juifs de langue française : "Écrire la judéité est un essai qui fait ce pari : la littérature est traversée par un double rapport de fascination et de rejet face à l'identité juive." L'auteur, Maxime DECOUT, entreprend de "relire l'histoire de la littérature du XXe siècle en regard du malaise attaché à la judéité afin d'éclairer les complexités de nos rapports à l'autre et à la différence. Dans le même numéro, Nadia MALINOVICH écrit que "Pendant les années 1920, les Juifs français créèrent de nouveaux espaces d'expression littéraire et culturelle. Beaucoup commencèrent à affirmer leur judéité en termes ethno-culturels, s'éloignant d'une définition purement confessionnelle de celle-ci. Ces nouvelles activités et auto-questionnements - que les contemporains eux-mêmes désignèrent sous le terme de "réveil juif" - ne furent pas, toutefois, sans critiques. Certains pensèrent que ce "réveil" ne ferait rien, à terme, pour renforcer les liens communautaires et freiner l'assimilation, tandis que d'autres craignaient que toute mise en valeur de supposées "différences juives" se mairait trop facilement, et dangereusement, avec l'antisémitisme." Dans les varia du même numéro, on note Le Noé de la bible hébraïque. Comment relire un texte usé et abusé? par Christophe BATSCH : cet article rappelle les principales difficultés textuelles connues du texte biblique du Déluge et fait le point de la recherche actuelle dans ce domaine.

  La revue publie également des numéros hors série, par exemple sur les Représentations juives du christianisme au XIXe et XXe siècles (n°8 hors série, 2015), Les Juifs d'Algérie, de l'enracinement à l'exil (n°6 hors série, 2012) ou sur Persécutions raciales dans le Douaisis, pendant la Seconde Guerre Mondiale (n°4 hors série, 2008)...

 

Association Jean-Marie DELMAIRE/TSAFON, BP 61 012, 59012 Lille cedex.

 

Relu le 2 mai 2022

 

 

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27 mai 2016 5 27 /05 /mai /2016 12:24

      Yod, revue de l'INALCO (Institut National des Langues et civilisations orientales), est centrée sur la littérature, l'histoire, la philosophie et la sociologie du peuple juif en Israël et dans la diaspora,  surtout du XIXe au XXIe siècles (mais elle ne refuse pas d'aller jusqu'à au début du Talmud), ainsi qu'à l'hébreu et aux langues juives. Chaque numéro est consacré à une thématique précise et fait appel à des chercheurs européens, américains et israéliens. Fondée en 1975, c'est la revue du CERMON (Centre de recherche Moyen-Orient, Méditerranée).

La recherche à l'INALCO associe de manière générale les aires culturelles et les champs disciplinaires. Leur croisement, qu'il considère comme particulièrement novateur et fécond sur le plan scientifique concerne des langues rares et des civilisations qui occupent aujourd'hui, de plus en plus, le devant de la scène, Afrique, Moyen-Orient, Eurasie, Asie, jusqu'à l'Arctique, et qui sont au centre des préoccupations majeures de notre siècle. 

Dirigée par Masha ITZHAKI, spécialiste de la poésie hébraïque, et animée par un Comité de rédaction de huit membres qui s'appuient, comme presque toutes les revues universitaires de nos jours, sur un comité scientifique international, Yod parait annuellement et est à consultation entièrement gratuite sur revues.org. Elle aborde des thèmes très précis, comme Le Proche-Orient ancien à la lumière des sciences sociales (n°18, 2013), Le yiddish dans la sphère francophone (n°16, 2011) ou La littérature israélienne, miroir d'une société multiple (n°14, 2009). 

La revue aborde la sociologie et l'histoire du peuple juif de manière très large et ne traite pas du judaïsme en tant que tel. On y trouve néanmoins des articles éclairants sur les relations qui peuvent exister entre religion et littérature. Dans la mesure où les communautés juives sont rarement dépourvues d'une dimension religieuse (et parfois, elles en ont une très forte) et que dans son épaisseur historique l'histoire du peuple juif est aussi celui du judaïsme, il nous a paru utile dans la présenter dans le cadre de notre survol des revues sur les religions. C'est, qu'à l'image de l'arabe avec le Coran et du latin avec le Christianisme, la langue hébraïque est liée à la mentalité religieuse judaïque. Un certain nombre de ses articles abordent d'ailleurs des aspects très forts de la religiosité juive.

Yod, CERMON, Inalco, 49bis, avenue de la Belle Gabrielle, 75012 PARIS

 

Relu le 2 mai 2022

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26 mai 2016 4 26 /05 /mai /2016 08:22

     Les études sur la religion juive sont encore rendues compliquées par la situation politique de l'État d'Israël et sa détermination dans la non-résolution du conflit avec les populations palestiniennes.

Cette position rend plus aigüe une opposition au sein de la diaspora juive (plus importante, rappelons-le, que la population d'Israël) entre sionistes et anti-sionistes. Cette opposition s'envenime d'une seconde opposition, apparue bien avant la Shoah, entre une judaïté religieuse et une conception intégrative des communautés juives dans les divers États européens. Le mouvement de critique contre les religions des XVIIIe et XIXe siècle n'a pas épargné le judaïsme ; il est même parfois bien plus radical que dans le monde chrétien. Même s'il a été réduit en importance, sauf aux États-Unis, terre de refuge pour une partie de l'intelligentsia juive germanique (où se trouvait la plus importante communauté et les mouvements critiques les plus radicaux), à cause du nazisme et de sa politique de spoliation et d'extermination en Europe, la communauté juive reste active et est traversée par de nombreux courants religieux et non-religieux.

    Les publications autour de la religion juive sont tout de même nombreuses, même si parfois, elles s'ignorent les unes des autres, Il ne faut pas confondre Études juives, de l'EHESS, qui produit des ouvrages et la Revue des Études juives (REJ), revue régulière bi-annuelle semblable à la Jewish Quartely Review, ni non plus le site des études juives, revue virtuelle disponible uniquement sur Internet, qui priviligie la démarche talmudique, ni encore, mais là c'est plus facile à distinguer, Yod, la revue des études hébraïques et juives ou encore Tsafon, revue d'études juives du Nord.

 

Les études juives longtemps absentes du débat académique...

    Les études juives sont restées longtemps quasi inexistantes dans le paysage académique français. Sous l'impulsion de François FURET, au sein de l'EHESS, à la fin des années 1980, une chaire itinérante est allouée par la Fondation du Judaïsme Français. organisées en groupe, composé en 1990 de trois membres (Nancy L GREEN, Laurence PODSELVER et Sylvie Anne GOLDBERG) et d'une direction collégiale associée (Jacques REVEL, Lucette VALENSI, Pierre VIDAL-NAQUET) pilotée par Dominique SCHNAPPER, elles ont formé un centre en 1995 placé sous la responsabilité de Maurice KRIEGEL jusqu'en 2013. Ayant pour ambition d'accueillir et de favoriser à l'École le développement de recherches consacrées aux études juives en leur appliquant les méthodes et les problématiques de l'histoire et des sciences sociales, le groupe, puis le Centre d'Études juives, ont eu le privilège de recevoir les meilleurs chercheurs internationaux dans le domaine et de contribuer à former des doctorants, dont plusieurs sont aujourd'hui en poste.

Orienté par une triple dynamique, l'équipe s'est donnée pour tâche de dessiner un champ pluridisciplinaire et spécialisé afin d'étudier l'historie des juifs et des judaïsmes dans un espace ouvert tant aux traditions historiographiques reposant sur des bases solides (philologiques, textuelles, culturelles, etc.) sachant privilégier les interactions avec les environnements culturels, qu'aux problématiques récentes engagées dans les sciences historiques et sociales. Elle publie régulièrement des livres selon cette orientation académique.

 

La Revue des Études juives

    Si la reconnaissance universitaire des études sur le judaïsme est relativement clairsemée, il faut compter depuis longtemps, sans oublier les nombreux départements sur les religions dans diverses universités, sur des revues, dont la plus ancienne en France, la Revue des Études Juives (REJ) date de 1880. 

Fondée par la Société des études juives en même temps qu'elle, publiée sous la direction d'Isidore LOEB (1839-1892), puis d'Israël LÉVI, elle devait mettre en oeuvre un équivalent (mais non une copie) français de la grande entreprise d'étude scientifique du passé juif et de défense du judaïsme face à ses détracteurs qui s'était développée en Allemagne (Wissenschaft des Judentums). Elle est actuellement dirigée par Jean-Pierre ROTHSCHILD, directeur de recherches au CNRS et directeur d'études à l'EPHE et José COSTA, professeur à l'université Paris-III. Un comité de rédaction est appuyé par un comité scientifique largement international. C'est l'IRHT (Institut de recherche et d'histoire des textes) qui héberge la revue dont elle fait partie, ainsi d'ailleurs que des (336 titres) publications qui se spécialisent généralement dans des travaux de recherche sur les manuscrits et imprimés anciens et sur les textes écrits dans les principales langues de culture du pourtour méditerranéen. Les publications y sont consultables sur catalogue papier, daté de 2002, au format pdf. Le catalogue des publications en ligne recense les publications depuis cette année-là jusqu'à aujourd'hui.

La Société des Études Juives est hébergée par l'Alliance israélite universelle. Fondée en 1860, c'est une société juive internationale culturelle, installée dans différents pays, mais originellement française. Directement issue des événements sanglants qui frappent la communauté juive de Damas en 1840, présidée de 1973 à 1976 par René CASSIN, elle poursuit son activité suivant trois axes : éducation, défense des droits de l'homme et des droits des Juifs et défense des conditions de vie des Juifs. Cette société culturelle est l'une des plus importants réseaux de diffusion de la francophonie en milieu scolaire dans le monde. Historiquement d'abord anti-sioniste farouche, elle a assoupli sa position après-guerre.

Organisée en volumes, dont deux contenant les archives de l'année, elle est consacrée à la recherche scientifique et à la publication de textes inédits (histoire, littérature, sociologie, anthropologie) concernant le judaïsme, entre autres des documents relatifs à l'histoire du peuple juif, comme la Jewish Qauterly Review. Cette dernière est le plus ancien journal d'études juives en langue anglaise, fondé en 1888-1889 et a rarement traité de sujets théologiques.

Presque tous les numéros contiennent aussi une section bibliographique spéciale, consacrée à la recension de travaux actuels sur la culture juive. Les contributeurs sont de diverses nationalités et appartiennent à différentes universités ou instituts de recherche.

L'éditeur de la REJ, Peeters, publie également des ouvrages séparés dans la " Collection de la Revue des études juives", avec des auteurs comme Paul FENTON et Mireille HADAS-LEBEL. 

 

M J-P. Rothschid (REJ), LRHT (CNRS), 40, avenue d'Iéna, 75116 Paris

   

Relu le 4 mai 2022

 

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23 mai 2016 1 23 /05 /mai /2016 09:15

   La revue Chrétiens et sociétés, fondée en 1994, se présente comme une revue d'histoire des religions, centrée sur l'étude des différentes confessions chrétiennes à l'époque moderne et contemporaine. Dans une conception ouverte, en dialogue constant avec les autres secteurs des sciences sociales, ses animateurs, travaillant surtout dans la région lyonnaise, alternent numéros thématiques et numéros de varia, tout en proposant des dossiers d'étude sous la forme de numéros spéciaux.

Créée sous l'égide du Centre André Latreille (Université Lyon 2) et de l'Institut d'Histoire du Christianisme (Université Lyon 3), elle est aujourd'hui animée par les chercheurs en histoire religieuse du Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes. Les premiers numéros portaient surtout sur les activités des centres et progressivement la revue s'est diversifiée.

   La mise en ligne de Chrétiens et Sociétés a débuté en 2007 et se fait du numéro le plus récent au plus ancien, à l'exception des deux premiers numéros (1-1994 et 2-1995). Ces numéros sont disponibles en libre accès sur le portail revues.org.

  L'équipe de rédaction est actuellement animée par deux directeurs de publication, Yves KRUMENACKER, enseignant d'histoire moderne à l'Université Jean-Moulin-Lyon 3, spécialisé en histoire religieuse de la France moderne et sur le protestantisme et Bernard HOURS, historien spécialiste d'histoire moderne, et deux rédacteurs en chef, Paul CHOPELIN, auteur d'une thèse de doctorat sur l'histoire religieuse de Lyon pendant la Révolution (2006) et Christian SORREL, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Lyon 2, auteur d'ouvrages sur le catholicisme. Un comité de rédaction est épaulé par un comité scientifique d'universitaires français et européens. 

   Son numéro spécial II de 2013 portait sur La vocation du Prince, L'engagement entre devoir et vouloir (XVIe-XVIIe siècles). De nombreux numéros sont sur des sujets très variés. A noter le numéro 19 de 2012 sur Médecine et religion.

Ce numéro, sous la direction de Jean-Dominique DURAND aborde les relations difficiles entre médecins et autorités ecclésiastiques dans l'époque moderne. Olivier FAURE expose le rapprochement de deux univers longtemps affrontés mais aux relations plus complexes qu'on le pense, tandis que Cécile FLOURY-BUCHALIN nous éclaire sur le modèle du "bon malade" pris entre traités religieux et traités médicaux. A noter dans les facteurs de rapprochement, le fait, décrit par Anne JUSSEAUME, de Soigner des femmes en couches : un interdit levé pour évangéliser? Les auteurs abordent cette question des relations entre médecine et religion tant du côté catholique que chez les Protestants.

 

Chrétiens et Sociétés, XVIe-XXIe siècles, Christine CHADIER, Equipe RESEA (Religions, sociétés et acculturation), LARHRA UMR 2190, Université Jean Moulin Lyon III, 18 rue Chevreul, 69362 Lyon Cedex 07.

 

Relu le 5 mai 2022

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20 mai 2016 5 20 /05 /mai /2016 08:51

     Publication scientifique, rédigée et publiée par les enseignants-chercheurs de la Faculté catholique de Strasbourg, ouverte à l'extérieur, la Revue des Sciences Religieuses, aborde tous les champs disciplinaire de la théologie, du droit canonique et des sciences religieuses. Étant donné son origine clairement religieuse, la revue est l'une ce celles qui tourne autour des questions, abordées avec le souci d'objectivité, qui intéressent directement les Églises : l'exégèse, l'histoire, la théologie fondamentale et dogmatique, la pastorale et la pratique, l'éthique, la philosophie, les études oecuméniques.

Fondée en 1921, la Revue des Sciences Religieuses, entend toujours, rattachée à la Faculté de Théologie Catholique de Strasbourg, "se consacrer à l'ensemble des disciplines ecclésiastiques". Ses premières signatures étaient celles de Monseigneur RUCH, M. ANDRIEU, E. MANGENOT. 

Trimestrielle, avec deux numéros thématiques par an, la revue comporte un nombre significatif de recensions. Elle est diffusée dans de nombreux pays et publie volontiers des auteurs étrangers, mais toujours en langue française.

    Par une certaine indépendance d'esprit, le souci principal du comité de rédaction, lorsque les auteurs abordent par exemple La théologie à l'université (n°87/4, 2013), Les figures du maitre médiéval et les modèles de son autorité (1400-1500) (n°85/3, 2011) ou Frontière de l'Église, frontières dans l'Église, La période paléochrétienne (n°81/1, 2007), n'est pas de se conformer aux dogmes officiels, mais de rechercher plutôt les variations et les permanences des attitudes et des fonctionnements religieux, historiquement et théoriquement bien définis dans leur contexte.

   Avec comme directrice de la Revue Isabel IRIBARREN, docteur en philosophie et théologie de l'Université d'Oxford et maitre de conférences en histoire de l'Église médiévale à la faculté de théologie catholique de Strasbourg, et Rédactrice en chef Françoise VINEL, responsable de la section Histoire à la Faculté de théologie catholique, la revue est animée par un comité de rédaction d'une dizaine de membres qui s'appuie sur un Comité de lecture d'universitaires de provenances diverses. 

   La revue est disponible sur le portail revues.org, la plupart des articles étant en libre accès, à partir de certains numéros. 

 

     Son numéro 86/4 de 2012 porte sur Dire la guerre, penser la paix, avec des contributions de Frédéric ROGNON, Jacques SÉMELIN, Jason DEAN, Daniel FREY, Frank BOURGEOIS, Jan JOOSTEN et Etienne FOUILLOUX.

Dans le liminaire de ce numéro, on peut lire, sous la plume de Frédéric LOGNON :

"Depuis deux siècles, la guerre a radicalement changé de visage. Armements et stratégies ont connu de profondes transformations mais c'est la conception même du conflit militaire qui a subi les mutations les plus considérables. La Révolution française avait déjà introduit une césure dans l'histoire de la guerre, en instituant la conscription, c'est-à-dire en universalisant l'engagement de la population masculine en âge de combattre dans les opérations militaires. C'est ainsi que Napoléon a bénéficié d'un peuple en armes pour mener ses campagnes et que Clausewitz a cru discerner dans cette guerre "à but absolu" et dans cette "montée aux extrêmes", une véritable accélération de l'histoire.  Les conflits européens du XIXe siècle, les deux guerres mondiales, les génocides et crimes contre l'humanité qui ont ponctué le XXe siècle, l'entrée dans l'ère nucléaire, la guerre froide, n'ont pas démenti cette analyse, d'autant que les populations civiles ont été de plus en plus directement concernées par les effets de la guerre.

Et pourtant, il semble bien que nous soyons désormais face à une nouvelle mutation, totalement inédite. Depuis les guerres de décolonisation et les tensions révolutionnaires dans le Tiers monde, mais surtout depuis la sortie de la guerre froide, nous n'avons plus affaire à deux ennemis clairement identifiés qui respectent tacitement les mêmes règles de l'art militaire, mais à ce que Gérard Chaliand appelle "les guerres irrégulières" : guérillas, guerres de harcèlement et d'usure, attentats terroristes, qui compensent largement l'infériorité technique des insurgés par un intense travail psychologique sur l'opinion publique de l'adversaire."  il faut donc penser la guerre et la paix autrement, vu ses formes nouvelles, idéologiques, basées en grande partie sur le mensonge. "En ce sens, dire la guerre peut être un premier pas sur le chemin qui consiste à penser la paix. Il ne s'agit pas en effet de se contenter de dire la paix, au risque de glisser vers le registre purement invocatoire, si ce n'est incantatoire, d'une paix factice que stigmatisait déjà en son temps le prophète Jérémie. Il importe au contraire d'élaborer une conceptualisation de la paix qui contribue à la construire dans la réalité. Si l'on peut espérer dire la guerre pour éviter de la faire, on peut inversement oser penser la paix pour être en mesure de la faire. La première étape consisterait à préciser les différentes acceptions de la notion de "paix", de manière à évaluer la teneur de chacun d'entre elles, de critiquer les plus inconsistantes et de sélectionner les plus efficientes. Les conditions historiques, économiques, juridiques, sociologiques, éthiques, philosophiques et théologiques d'une paix véritable devaient ensuite être discernées, articulées et problématisées. Enfin, on pourrait interroger les vecteurs de passage de ce concept théorique de "paix" aux modalités concrètes de son effectuation et de sa pérennisation.

C'est à cette fin que s'est tenu, à Strasbourg, de 2008 à 2012, un Séminaire interdisciplinaire, suivi d'un Colloque international en mai 2012. Leur ambition était de faire dialoguer des chercheurs de différentes disciplines pour nous aider à comprendre les tensions spécifiques au monde dans lequel nous vivons, mais aussi les divers efforts de rapprochement entre les peuples. Nous espérions ainsi contribuer à réduire l'opacité qui entoure notre condition ultra-moderne."

 

Revue des sciences religieuses, Palais Universitaire, 9, place de l'Université, BP 90020, 67084 Strasbourg cedex.

 

Relu le 8 mai 2022. Le numéro sur la guerre est malheureusement d'une actualité assez cruelle.

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19 mai 2016 4 19 /05 /mai /2016 09:16

     Le "renouveau religieux" ne se limite pas à la croissance du discours prosélyte ou à un renouveau de la foi, même si beaucoup de bruits parasitent dans ce sens les médias et Internet, mais aussi par la floraison de revues qui d'une manière ou d'une autre évalue la religion à l'aune d'analyses sociologiques ou/et historiques qui ne laissent guère de place à la crédulité facile... Les Cahiers d'études du religieux font partie de ces revues récentes qui fleurissent, l'existence de l'outil Internet facilitant cette évolution. 

    Les Cahiers d'Études du Religieux - Recherches interdisciplinaire sont l'émanation des activités du Centre Interdisciplinaire d'Études du Religieux (CIER) au sein de la Maison des Sciences de l'Homme de Montpellier (MSH-M). Ils sont constitués de numéros thématiques, de communications présentées lors des différents séminaires.

Conçus comme un espace de recherche partagé, les Cahiers ont pour objectif de favoriser la collaboration, sur le plan diachronique, des spécialistes de périodes allant de l'Antiquité aux sociétés d'aujourd'hui pour saisir dans toute sa complexité le fait religieux. Les sciences de l'Antiquité, l'histoire, les littératures et civilisations européennes et méditerranéennes, le droit, la théologie sont conviés afin que, multipliant les points d'observation du même phénomène, elles contribuent à une meilleure compréhension des sociétés contemporaines et de leurs trajectoires.

   Si les Cahiers sont naturellement l'organe de diffusion des débats interdisciplinaires organisés par le CIER et sont destinés à recevoir les travaux présentés au cours de ses séminaires, ils sont néanmoins ouverts aux propositions extérieures.

Le comité de rédaction comprend Béatrice BAKHOUCHE, professeur de langue et de littérature latines, au CRISES (Centre de Recherches Interdisciplinaires en Sciences humaines et sociales) de Montpellier et Paula BARROS, maitre de conférences en civilisation britannique, XVIe-XVIIe siècles à Montpellier également. Il est appuyé par un comité de lecture (animé par Anita GONZALEZ-RAYMOND) et un comité scientifique (centré sur Montpellier).

  les Cahiers ont à leur actif actuellement plus de 15 numéros, consultables en libre accès sur le portail revues.org. Le dernier numéro (n°15, 2016) porte sur Le religieux interrogé par les chercheurs. Constructions disciplinaires. ils ont déjà abordés des thèmes comme La religion, instrument de domination?, Les missions (n°1, 2008), La conversion (N°6, 2009), Monothéismes au cinéma (numéro spécial, 2012), Le corps témoin du religieux : corps et âme (N°12, 2013)....

Dans un numéro disponible, plusieurs chercheurs s'interrogent, au cours de Journées d'études, sur la manière dont le religieux est interrogé par les chercheurs. Deux premiers textes abordent des questions épistémologiques. Antony FERNEUIL montre, à partir de l'exemple de Karl BARTH, comment la théologie peut contribuer à la réflexion en sciences des religions alors que Julien CAVAGNIS interroge le thème du "retour du religieux" à partir d'une lecture croisée de trois oeuvres de M FOUCAULT, M de CERTEAU et L KOLAKOWSKI. Bien qu'elle s'inscrive dans une perspective différente, Esther PINON, dans son étude sur les religions romantiques, révèle de même la nature potentiellement problématique de l'objet religieux, qu'elle propose de dépasser par un recours fécond au doute. Plusieurs autres auteurs interrogent l'influence du contexte des chercheurs sur leurs études du religieux, qu'il soit laïc, bouddhique, entre autres contributions. 

 

Cahiers d'études du religieux, Maison des sciences de l'homme, cerri.revues.org.

 

Relu le 10 mai 2022

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18 mai 2016 3 18 /05 /mai /2016 12:17

    Sous-titrée Enjeux des approches empiriques des religions, cette revue récente (2011), à périodicité annuelle, veut "se mettre à l'école de l'expérience pour la penser".

"Loin de pouvoir leur imposer des catégorie prédéfinies, la philosophie comme les sciences humaines et sociales des religions ne sauraient faire l'impasse sur les différentes manières dont se donnent les pratiques et les croyances qu'elles veulent penser. Cette rencontre de la philosophie et des sciences avec l'expérience religieuse, les conflits qu'elle génère, les potentialités théoriques qu'elle porte, sont les thèmes de la revue (...). Par conséquent, ThéoRèmes a pour vocation de proposer des travaux originaux en sciences des religions, que ce soit en anthropologie, sociologie, psychologie ou sciences cognitives, mais qui toujours possèdent une portée réflexive."

     Publiée en ligne et en accès libre sur le portail revues.org, elle présente sous une forme originale des recherches en cours dans l'université francophone mais aussi de langue anglaise. En effet, au lieu de reprendre la formule classique, héritée de la parution sur papier, de la parution par numéros, elle choisit de publier les articles sélectionnés par son comité scientifique dès qu'ils sont finalisés et de les organiser par discipline et thématiquement. Même si cette méthode joue sur la souplesse d'Internet, les articles publiés sont l'objet de la même attention que dans l'édition habituelle en matière scientifique. 

     Ainsi la revue a-t-elle déjà plusieurs dossiers en activité : 

- Wittgenstein et le religieux (depuis 2011) ;

- Les renouveaux analytiques de la philosophie de la religion en question (2012) ;

- Réfléchir les conversions (2012) ;

- Christianisme et condition postcoloniale (2013) ;

-L'incroyance religieuse (2013) ;

- Le réalisme spéculatif. Entre athéisme et messianisme (2014)

- Capter le rite, filmer le rituel (2015).

     Son directeur de publication Anthony FENEUIL (Université de Lorraine), docteur en philosophie et théologie, spécialisé en partie sur BERGSON, qui travaille sur les apports possibles de la théologie à la philosophie, et son rédacteur en chef Yann SCHMITT, docteur en philosophie (EHESS), spécialisé en métaphysique et philosophie de la religion animent un comité de rédaction de 4 membres, appuyé par un comité scientifique d'universitaires de plusieurs horizons.

 

Revue ThéoRèmes, Anthony Ferneuil, Faculté de théologie - IRSE, Université de Genève, 5 rue de Candolle, 1211 GENÈVE 4.

 

Relu le 11 mai 2022 (mais on va y revenir...)

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18 mai 2016 3 18 /05 /mai /2016 07:06

    Si l'impact de la pensée de SPINOZA a encore des conséquences de nos jours, c'est bien parce que le "travail" de son oeuvre (au sens de Claude LEFORT) continue encore dans les réflexions sur la religion. Tout ce que ses commentateurs contemporains ont pu écrire sur ses écrits, qui font du spinozisme plus que du Spinoza (même si la formule est osée), trouvent des échos chez les commentateurs de notre époque, lesquels font encore plus du spinozisme.

Peu importe si parfois leurs commentaires dépassent la pensée profonde de l'auteur, ce qui importe - d'ailleurs ce qui importe toujours au bout du compte - c'est ce que son oeuvre nous amène à penser. Dans le domaine de l'histoire des idées, lesquelles viennent dans des conditions précises, elles nourrissent à la fois la pensée et l'imaginaire de la postérité. Si SPINOZA a de Dieu (ou de la Nature, les termes sont souvent interchangeables) des idées parfois très nuancées, pour des raisons inhérentes aux conditions de la vie intellectuelle de sa propre époque, ses continuateurs ne se font pas faute de reprendre les idées là où ils les a laissées d'une manière ou d'une autre pour les prolonger, et souvent, dans le domaine qui nous occupe ici, les radicaliser. Ne prenant en fin de compte encore que les germes de la pensée de SPINOZA, ce qu'elle implique, pour théoriser plus loin que lui. Même avec quelques entorses, des philosophes, qu'ils soient professionnels ou non, continuent de penser avec les idées de SPINOZA, faisant de celles-ci des acteurs incontournables de la manière de penser le monde. 

   Entre les écrits de SPINOZA lui-même, et entre l'analyse de Charles RAMOND sur sa notion de Dieu puis encore entre les conséquences du spinozisme dans les relations envers la religion tel que les rapportent Yvon QUINIOU, il n'y a pas réellement l'écart entre des exactitudes et des interprétations, car dans les écrits d'un auteur comme SPINOZA, tout est devenir, en fonction de ce que sa pensée peut produire au fil des temps.

En tout cas, il est exact qu'il existe des nuances (qui tiennent aussi aux modifications de la langue) dans la pensée de Spinoza par rapport à Dieu, mais il n'en est pas moins que son hostilité envers la religion existe bien dans ses écrits et que cette hostilité peut se formuler en un certain nombre de propositions radicales encore opérationnelles dans le monde d'aujourd'hui.

 

Plusieurs réalités...

     Comme l'explique Charles RAMOND, pour SPINOZA, "il n'y a pas plusieurs, mais une seule réalité. Notre univers, ses étoiles, ses galaxies les plus lointaines, n'est qu'un "mode" (le "mode infini médiat) d'un des "attributs" infinis (l'attribut "étendue") de la "substance", que Spinoza appelle encore "cause de soi", "Dieu", ou "Nature"(Lettre 64). La célèbre expression "Dieu ou la Nature" ("cet être éternel et infini que nous appelons Dieu ou la Nature agit et existe avec la même nécessité") résume ainsi un monde sans extériorité, sans transcendance, un monde qui n'a pas de Dieux parce qu'il est Dieu - double détermination permettant de comprendre, dans une certaine mesure, le double mouvement d'enthousiasme et de scandale historiquement suscité par la philosophie de Spinoza.

La première définition, poursuit notre auteur, de l'"thique est celle de la "cause de soi" : "Par cause de soi, j'entends ce dont l'essence enveloppe l'existence, autrement dit, ce dont la nature ne peut se concevoir qu'existante" (repris aussi dans son Traité politique). Il est clair en effet que ce qui est cause de soi-même ne saurait manquer de se causer, de se produire, et donc d'exister. Toute la question est de savoir si l'on peut admettre logiquement une "cause de soi", qui par définition est aussi "effet de soi", si bien que la différence entre "cause" et "effet" s'y efface. Car l'Éthique n'est autre chose que le développement de la "cause de soi". On y distingue en effet, à l'exemple de (Martial) Gueroult (Spinoza, 2 tomes, inachevé, Aubier Montaigne, 1968 et 1974) , un "Dieu cause", ou "Nature Naturante", c'est-à-dire l'ensemble infini des attributs eux-mêmes infinis ; et un "Dieu effet", ou "Nature Naturée", c'est-à-dire l'ensemble des modes, des plus petits (...) jusqu'à la totalité du monde visible (...), en passant par les "choses singulières" plus habituelles que sont les plantes, les animaux, les hommes, mais aussi les États et les corps politiques en général. La grande difficulté du spinozisme comme philosophie de l'immanence est de concevoir à la fois la distinction le plus claire entre "Nature Naturante" et "Nature Naturée" (puisque les caractéristiques des attributs et des modes s'opposent terme à terme), et en même temps leur fusion complète (puisqu'il n'y a aucune transcendance de la "Nature Naturante" par rapport à la "Nature Naturée"). Spinoza parle en termes de "Nature Naturante" et de "Nature Naturée", et de "causalité", précisément pour ne pas parler en termes de "Créateur", de "Créature" et de "création". Comme la causalité, cependant, introduit une distance quasi infranchissable en "le causé" et sa cause ("le causé diffère de sa cause précisément en ce qu'il tient d'elle", etc), la relation de causalité se redouble, pour le spinozisme, d'une relation "d'expression" entre la Nature Naturante et la Nature Naturée (point bien mis en évidence par Deleuze, dans Index des Principaux Concepts de l'Éthique, dans Spinoza, Philosophie Pratique, Éditions de Minuit, 1981). La causalité divine n'est jamais finale. Dieu ne peut causer en fonction d'une idée qu'il aurait préalablement, car l'entendement infini lui-même appartient à la Nature Naturée, c'est-à-dire est un mode, ou un effet. La nature spinoziste est ainsi totalement désenchantée : elle est bien cette entité ou réalité gigantesque, aveugle et sourde, à laquelle il est  absurde de prêter des intentions et des préoccupations, bien que ce soit une activité constante chez les hommes. Spinoza dénonce ainsi avec une vigueur particulière, dans l'Appendice de la première partie de l'Éthique, la croyance aux "causes finales", qui pousse les hommes à se réfugier, quand il leur arrive d'être réduits à quia, dans la "volonté de Dieu, cet asile de l'ignorance". De même, il n'y a pas à admettre de miracles, c'est-à-dire de perturbations de l'ordre de la nature par quelque chose qui lui serait extérieur, d'abord parce que nous ne connaissons pas le détail de cet ordre de la nature, et qui, par conséquent, nous sommes ignorant de ce que peuvent, ou ne peuvent pas, les corps considérés en eux-mêmes ("nul ne sait ce que peut un corps") ; et ensuite parce que, ne pouvant rien concevoir d'extérieur à la Nature, il nous est également impossible de concevoir quoi que ce soit qui pourrait en perturber l'ordre éternel (également dans Traité Théologico-politique).

La "cause de soi", la "nature" qui est "Dieu", la "substance" sont autant de noms d'un monde intégralement pourvu de raison, et dépourvu de sens. La parenté profonde entre le rationalisme le plus absolu et un certain sentiment de l'absurde explique sans doute la fortune du spinozisme dans la modernité."

  Du coup, la religion ne peut être comprise que comme surnaturalité fictive et déraison pratique. Yvon QUINIOU, prenant acte que, pour SPINOZA, il n'y a pas de Dieu extérieur à la nature, qu'aucune finalité ne préside à la production des phénomènes, que le libre arbitre n'existe pas plus que le péché originel, et que surtout l'homme peut faire son salut sans attendre une transcendance mystérieuse, formule quelques conséquences spizoniennes :

- La critique du culte, ou d'une conception cultuelle de la religion, avec son rapport purement extérieur à Dieu qui n'est qu'une "adulation" et non une "adoration" de Dieu, et qui remplace la foi pratique authentique.

- La dénonciation directe des fonctions ecclésiastiques, de leur apparat, de leurs prébendes, de leurs faux honneurs, qui induisent une soumission aveugle, non fondée, de la masse des fidèles au clergé : c'est l'intérêt et l'ambition qui motivent les fonctionnaires des Églises, immenses monuments d'hypocrisie qui se servent de la foi et ne la servent pas.

- La complicité corrélative  avec les puissants, lesquels trouvent dans la crainte que suscitent les Églises, dans l'ignorance qu'elles entretiennent, les préjugés qu'elles diffusent auprès du peuple et le mépris de la raison qu'elles professent, de quoi maintenir en état de soumission la population crédule. C'est le rôle proprement politique de la superstition religieuse que SPINOZA indique.

- SPINOZA peut alors pointer l'origine intellectuelle, chez les hommes d'Église en priorité : l'attachement aveugle à la lettre des Écritures, pourtant interprétées différemment selon les Églises ou les sectes et selon les époques, sans que la raison puisse intervenir comme puissance d'acceptation ou de refus lucide, autonome, capable de fonder un accord spirituel.

- D'où pour finir, des luttes intestines entre les confessions, au sein du même monde religieux censément voué à l'amour et à la paix, dont Spinoza dénonce à la fois l'absurdité intellectuelle et la violence dogmatique, hors raison, l'une à cause de l'autre.

 

Des limites de la critique de la religion

 Mais SPINOZA pose des limites du possible, dans la traduction politique de sa critique de la religion. L'accès à la sagesse nécessaire pour que l'homme assure son salut est en fait réservé à ceux qui savent. D'où la nécessité d'un salut religieux pour le peuple, lié à la moralité et à ses notions, dont SPINOZA conteste par ailleurs la validité théorique. Car si la sagesse dispense des impératifs moraux puisqu'elle les réalise d'elle-même, l'absence de sagesse nous contraint à y recourir ou à les préconiser pour autrui. Mais en droit tous les hommes doivent pouvoir y accéder (Sylvain ZAC, La morale de Spinoza, PUF, 1959). Toutefois, le développement de sa pensée introduit une conception qui creuse un abîme entre philosophie et religion, alors que celle-ci domine les esprits et possède un important pouvoir institutionnel d'intimidation. Yvon QUINIOU fait le rapprochement avec notre époque contemporaine marquée par un "retour du religieux" avec ses nouveaux dangers.

 

Si la pensée de SPINOZA constitue une attaque en règle contre la religion, et surtout la religion cultuelle, peut-on faire toutefois de l'écrivain juif un athée. Très peu d'auteurs le soutiennent et on peut déceler dans son oeuvre comme le voit par exemple Eric DELASSUS (une religiosité dans le spinozisme) ou Henrique DIAZ (Spinoza est-il réellement athée) un déisme que sa formation et son éducation peuvent difficilement contourner. Par ailleurs Léon BRUNSCHWIG estime que SPINOZA ne répond pas vraiment sur la question de l'existence de Dieu, même s'il l'assimile à la Nature.

Ce n'est pas son problème. Son problème, c'est de savoir comment fonder la morale nécessaire à une politique qui fasse le Bien des hommes. Vu les attributs de Dieu (Éthique), il n'est pas possible de le connaitre ni d'en attendre autre chose que ce qu'on peut attendre, par une politique raisonnée, de la Nature, et certainement pas par l'entremise de "représentants"... De même pour Emile CHARTIER (ALAIN), qui tente de réécrire de manière "moderne" une partie de l'oeuvre de SPINOZA, Dieu y est omniprésent.

 Eric DELASSUS, professeur agrégé et docteur en philosophie, auteur d'une thèse publiée aux PUF (De l'éthique de Spînoza à l'éthique médicale, 2011) écrit que l'on peut discuter d'une religiosité du spinozisme à condition d'en bien préciser les contours. "Si donc, il y a une religiosité du spinozisme, il s'agit, cela est clair, d'une religiosité sans religion, sauf à parler comme (nous le faisons) d'une religion philosophique de l'immanence. Le spinozisme présente en effet certains caractères du religieux, dans la mesure où il permet aux hommes, tant sur le plan éthique que sur un plan plus spirituel, de répondre véritablement à tout ce à quoi ils aspirent lorsqu'ils se jettent aveuglément dans les bras des religions historiques, établies et institutionnelles, et si cette réponse est véritable c'est parce que précisément elle propose comme réponse, à ce désir d'unité et de sens, une vérité qui est à elle-même et pour elle-même son propre signe et non une croyance imparfaite et trompeuse en des superstitions irrationnelles.

L'homme peut donc trouver son salut dans et par la raison, être sauvé de l'ignorance et de la crainte par la science philosophique, être sauvé de la mort (et surtout de la crainte de la mort) en prenant part à l'éternité par la connaissance, du second et surtout du troisième genre, qui nous permet de saisir notre essence éternelle et celle de toute chose et de participer dans une certaine mesure à l'entendement divin."

Henrique DIAZ, sur le site spinozaetnous.org, tente de répondre lui aussi à la question : le spinozisme est-il un athéisme? Ni athéisme, ni théisme, il s'agit plutôt d'un déisme : "il y a un Dieu, principe de toute réalité et de toute connaissance complète, qui s'il n'intervient pas en "personne" dans la vie des hommes, est au principe de leur salut". Cela passe un peu vite positivement sur l'hypothèse d'un Dieu personnel, alors que SPINOZA assimile d'une certaine manière Dieu et la Nature. Si SPINOZA critique l'anthropomorphisme des représentations ordinaires de Dieu, comme l'auteur l'écrit bien, cela ne vas pas tellement dans le sens d'un Dieu personnel, extérieur à la Nature. Mais lisons ce que Henrique DIAZ en dit : "Rien de ce que Spinoza affirme de Dieu n'est "inconcevable" car un concept rationnel n'a pas à permettre d'appréhender un objet selon une expérience sensible, si cet objet n'est pas un objet fini. En revanche, on peut dire que Dieu est "insondable" puisque cela renvoie à l'appréhension d'un objet fini (on sonde une rivière pour en faire ressortir un objet perdu). Mais Dieu, comme nature naturante, n'a pas à être "sondé" puisqu'il est déjà immédiatement présent en chaque réalité particulière, en tant qu'elle affirme son être dans l'être. Dieu n'est pas "perdu", on ne le croit que parce qu'on cherche avec les yeux du corps ou avec l'imagination, au lieu de le voir avec les yeux de l'entendement que sont les démonstrations.

D'autre part si rien de ce qui caractérise l'homme en tant qu'être fini ne saurait être attribué à Dieu en tant que substance, il ne faut pas négliger que toutes les propriétés de Dieu se retrouvent en l'homme comme expression finie de la substance. Ainsi l'homme "participe" à la pensée divine par ses idées inadéquates et adéquates, à l'entendement infini par son entendement fini, à l'amour intellectuel de Dieu par son amour intellectuel... Chez Spinoza, dire que Dieu pense, entende, aime... n'est pas "anthropomorphiser" Dieu, mais diviniser l'homme. La "désanthropomorphisation" de Dieu est une épuration de son concept, conformément à la "méthode" du Traité de Réforme de l'Entendement, non l'annulation de toute idée s'y rapportant."

  Ces deux réflexions tendent à défendre SPINOZA du "soupçon" d'athéisme, mais toute son oeuvre ne tire pas dans le sens d'une conception religieuse. Elle tire, et ses continuateurs directs rament aussi dans ce sens, vers des remises en cause de plus en radicales de toute pensée religieuse en soi, pour ancrer la pensée et l'action des hommes sur la compréhension de la réalité tant physique que sociale. 

  Léon BRUNSCHWIG insiste surtout sur la dissociation que SPINOZA introduit entre réflexions religieuses et réflexions scientifiques, l'une ne devant pas interférer avec l'autre : "il a justifié et sanctifié l'Écriture, il a justifié et sanctifié la raison, sans que l'autorité de l'une gêne l'indépendance de l'autre. (...). La tolérance est la forme nécessaire de toute religion, comme la liberté était la loi nécessaire de l'État ; les droits de la pensée sont inviolables et inaliénables, non point en vertu d'un principe mystérieux et mystique presque, mais par une disposition de la nature qui a fait que la vérité ne peut se trouver que dans l'esprit, qu'il n'y a point d'esprit pénétrable du dehors, point d'esprit collectif, que tout esprit forme une conscience individuelle. En tant que  l'Etat et la religion s'adressent à l'imagination pour faire accomplir, l'un par l'espoir de ses récompenses et la crainte de ses châtiments, l'autre par l'expérience de ses récits et les commandements de ses prophètes, ce que les hommes devraient naturellement s'ils savaient se diriger par leur seule raison, ils ont une valeur morale, toute provisoire en quelque sorte et tout d'imitation ; ils déterminent du dehors, sans l'atteindre en son fond, la vérité morale, qui consiste non dans des actions extérieures, mais dans l'intimité de l'âme. (...)". Comme d'autres, cet auteur estime que dans l'Éthique SPINOZA parle de Dieu non seulement pour échapper aux persécutions religieuses (ce qui peut se discuter...), mais parce qu'il veut faire accéder "à une expérience spirituelle que l'on peu apparenter à l'expérience mystique et religieuse". Ce qui est aller un peu loin dans l'interprétation de la pensée du philosophe de l'Éthique!  Dans ses textes, parcourt pourtant presque toujours la tension vers la raison, le raisonnement scientifique, et non vers une expérience mystique...

 

Léon BRUNSHWIG, Spinoza et ses contemporains, PUF, 1971. Eric DELASSUS, Edelassus.free.fr. Henrique DIAZ, spinozaetnous.org. ALAIN, Spinoza, Gallimard, 1949. Charles RAMOND, Spinoza, dans le Vocabulaire des Philosophes, tome II, Ellipses, 2002. Yvon QUINIOU, Critique de la religion, La ville brûle, 2014.

 

PHILIUS

Relu le 12 mai 2022

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17 mai 2016 2 17 /05 /mai /2016 06:46

     La Revue de l'histoire des religions (RHR), publication trimestrielle fondée en 1880, dont la direction est établie au Collège de France, couvre toutes les formes du donné religieux, discours et vécu, des origines à nos jours, sous toutes les latitudes. Publiée aux éditions Armand Colin et disponible sur le site Internet Cairn, la revue met à la disposition du public le texte intégral des fascicules parus de 1946 à 2004, consultable gratuitement sur le portail Persée. La revue alterne mélanges et numéros thématiques avec à chaque fois un coordinateur particulier. 

    Lancée par l'industriel lyonnais Émile GUIMET (1836-1918), sa direction est confiée à un fils de pasteur, spécialiste du judaïsme, Maurice VERNES, avant qu'il ne devienne président de la section des "sciences religieuses" à l'École pratique des hautes études. Ce n'est qu'en 1988 que les responsables de la publication mettent en place pour la première fois un conseil de rédaction composé de jean BAZIN, Nicole LORAUX, Charles MALAMOUD et Maurice OLENDER, sous la direction d'Antoine GUILLAUMONT (1915-2000) et de Charles AMIEL, de l'EHESS, toujours à son poste.

Actuellement le comité de rédaction est composé d'Hélène BERNIER, Katell BERTHELOT, Frédéric GABRIEL, Viviane COMERRO, Milad DOUEIHI, Guillaume DUCOEUR, Cédric GIRAUD, Laura PETTINAROLI, Alain RAUWEL, Gaëlle TALLET, François TRÉMOLIÈRES et de Stéphanie WYLER. Avec une trentaine de correspondants à l'étranger.

   D'emblée, Maurice VERNES annonce son refus de tout dogme et veut appliqué les méthodes critiques et historiques aux faits religieux, mettant sur un même plan les textes bibliques, le judaïsme, le Coran et les textes de l'Islam, les mythologies égyptienne, grecque ou romaine, les religions chinoises, etc.

Un des objectifs de la revue est de rendre possible l'enseignement des religions dans l'enseignement public et obligatoire.

 

  Plus sans doute que beaucoup d'autre revues, la revue se démarque de tout esprit d'activité ou de pensée religieuse. Elle n'entend pas participer ni à l'oecuménisme ni aux manifestations diverses de dénigrement. Il s'agit d'analyser froidement, en regard de la réalité observable, les tenants et aboutissants du phénomène religieux.

Ainsi dans le numéro 2 de 2011 qui porte sur Religion, secret et autorité, pratiques textuelles et cultuelles en clandestinité, on trouve les contributions de Chrystel BERNAT et Deborah PUCCIO-DEN (avant propos), d'Asma HILLALI (Compiler, exclure, cacher. Les traditions dites "forgées dans l'Islam sunnite (VIe-XIIe siècle)), de Frédéric GABRIEL (Les mystères de l'institution liturgique (1629-1662)) ou d'Okhan MIR-KASIMOV (Techniques de garde du secret en Islam)... Le numéro 2 de 2013 porte sur Ecrire dans les pratiques rituelles de la Méditerranée antique. Identités et autorités, tandis que le numéro 2 de 2014 sur Langue et autorité théologique à la fin du Moyen Âge... Ces thèmes parmi bien d'autres éclairent sur des aspects tous particuliers des manifestations bien temporelles du pouvoir religieux. 

 

 

Revue de l'histoire des religions, Collège de France, 11, place Marcelin Berthelot, 75231 Paris CEDEX 05.

 

Relu le 12 mai 2022

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14 mai 2016 6 14 /05 /mai /2016 09:27

     Les Archives des sciences sociales des religions, fondée en 1956 sous l'égide du CNRS (d'abord sous le nom de Archives de Sociologie des Religions, puis en 1973 sous le nom actuel), est publiée par les Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales. Elle se donne pour objectifs, selon ses propres termes de :

- promouvoir une perspective comparative, élargie à toutes les religions, et à toutes les aires culturelles ;

- favoriser une coopération de toutes les sciences sociales aux fins d'éclairer les facettes multiples du phénomène religieux ;

- accueillir l'exposé des réflexions méthodologiques et théoriques sur les objets de la recherche.

"L'effervescence, écrivent ses animateurs, de l'actualité religieuse et la globalisation des formes de religiosité conduisent plus que jamais les sciences sociales à interroger leurs frontières disciplinaires et à mettre à l'épreuve leurs paradigmes du fait religieux."

    Archives de Sciences Sociales publie alternativement des numéros thématiques ou de varia et des synthèses bibliographiques. Trilingue (anglais, français, espagnol), trimestrielle, ses articles témoignent des recherches les plus avancées en ce domaine, en France et à l'étranger. Les numéros de la revue sont disponibles sur le portail revues.org, en consultation libre pour les numéros de plus de trois ans (tous les résumés sont consultables).

   Fondée par Henri DESROCHE (1914-1994), prêtre catholique et sociologue, par ailleurs proche du groupe Économie et Humanisme de Louis-Joseph LEBRET, spécialiste des coopératives et Gabriel Le BRAS (1891-1970), juriste et sociologue des religions et du droit, elle constitue une mine d'informations sur les recherches en sciences sociales concernant les religions au sens large.

    Les Archives désignent moins au départ une revue qu'un bulletin, instrument au service d'un projet scientifique de catégorisation, de classement et de typologie de la matière disponible. Puis de vrais numéros thématiques apparaissent, surtout à partir des années 1970, avec la floraison d'articles. Le premier paradoxe est que l'épuisement de cette entreprise de recensement exhaustif de thèses, d'articles et d'ouvrages, et l'échec de la grande ambition de typologie des faits religieux qui lui donnait sens, a engendré, au fil du temps une revue dont la "partie rédactionnelle" n'a cessé de s'étoffer et de se construire. Elle passe d'une sociologie religieuse, plus ou moins héritée de l'école durkheimienne (surtout versant MAUSS) à une sociologie des religions d'intellectuels progressistes chrétiens, lecteurs de MARX, d'ENGELS, de WEBER et de DURHEIM et inspirés par l'entreprise de typologie des groupes religieux de Joachim WACH. Ces "jeunes sociologues des religions" se précipitent sur les non-conformismes et sur les marges du religieux autant que sur toutes les "religions de contrebande". En fait, au sein de l'équipe de rédaction comme entre les collaborateurs plus ou moins réguliers de la revue, la séparation entre une science des religions, dominée par le modèle universitaire de la scientificité sociologique et une sociologie appliquée, sociologie confessionnelle ou pastorale, sociologie d'expertise et de conseil de "pasteur sociologue" ou de sociologue pasteur, s'exprime difficilement.

La revue a du mal dans les années 1960 à se démarquer des pressions des institutions religieuses, le principe de la complémentarité des intérêts scientifiques et religieux étant très discutable et très discuté. S'agit-il de se démarquer des ancrages ou des héritages confessionnels au sein même de la revue ou de contribuer d'une certaine manière à un oecuménisme interconfessionnel, interdisciplinaire, international? Cette problématique se retrouve en dehors du traitement du christianisme, dans les études sur l'Islam, le bouddhisme, le chamanisme, le judaïsme, et au delà, sur les formes de non religiosité. L'ouverture de la revue à des auteurs non catholiques favorise avec un oecuménisme méthodologique qui n'est pas à confondre avec l'engagement dans un oecuménisme théologique ou religieux (qui était dans l'air du temps). La revue trouve l'aboutissement de ses interrogations dans une pratique coopérative rassemblant des compagnons de toutes convictions au service d'un développement humain communautaire.

Aujourd'hui la revue garde son aspect "mise à disposition du patrimoine" tout en continuant de développer des thématiques fournies. Tout en laissant chaque discipline concernée par l'étude des religions occuper un espace important, l'équipe s'efforce, avec peine tout de même, à traiter du phénomène religieux en tant que tel, préférant à la notion de spécificité tranchante celle d'une expérience du sacré. Sur le fond, les grands débats originels de la revue font retour dans les préoccupations philosophiques d'aujourd'hui, comme le montre l'engouement des philosophes pour le religieux. (André MARY, n°136, octobre-décembre 2006).

 

    Archives de sciences sociales des religieux, entre ces "Bulletins bibliographies", traite de questions aussi diverses que Chrétiens au Proche-Orient (170, 2015) que Religions et dictatures (169, 2015), Postérités allemandes (167, 2014) ou L'orthodoxie russe aujourd'hui (162, 2013) ou encore Les laïcités dans les Amériques (145, 2009). 

    Actuellement dirigée par Pierre-Cyrille HAUTCOEUR, la publication a à sa tête comme rédacteurs en chef Pierre LASSAVE et Emma AUSTIN-BOLTANSKI et un comité de rédaction d'une vingtaine de membres, sans compter un Conseil scientifique. Elle est publiée en collaboration avec le Centre d'Etudes Interdisciplinaires des Faits religieux (EHESS-CNRS), le groupe Sociétés, Religions, Laïcités (EPHE-CNRS), le Centre d'Anthropologie Religieuse (EHESS-CRH), le Centre d'Etudes de l'Inde et de l'Asie du Sud (EHESS-CNRS) et le Centre d'Anthropologie Sociale (LISST-CNRS, Université de Toulouse II - Le Mirail).

 

Relu le 16 mai 2022 (on y revient là aussi plus tard...)

 

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